Fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass

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Mois du bilinguisme de la CeA : Débriefing des 8 réunions organisées par la FAB dans le cadre du mois du bilinguisme de la CeA (juin 2023)

Mois du bilinguisme de la CeA : Débriefing des 8 réunions organisées dans ce cadre par la fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass en juin 2023

Ce texte est également disponible en pdf sur ce LIEN et le programme des réunions est rappelé ICI

  1. Le fil conducteur en était : Langue régionale d’Alsace : un passé méconnu, un présent imparfait, un futur incertain.
  1. Le planning des réunions et les intervenants qui s’étaient inscrits :

Mulhouse : Hôtel Bristol 18 avenue de Colmar, le 2 juin avec : Karine Sarbacher, présidente d’ABCM ; Bruno Fuchs, député ; Marie Brignone ; Philippe D’Orelli, ambassadeur du bilinguisme de la CeA ; Cécile Germain-Ecuer, conseillère régionale (sous réserve) ;

Sélestat : L’Etincelle Allée Georges Charpak, le 12 juin  avec : Jacques Fernique, sénateur ;  Sarah Moessmer, ABCM ; Richard Weiss, ABCM ; Thierry Frantz, ambassadeur du bilinguisme de la CeA ; Eric Ettwiller, Unsri Gschicht ; Florian Peter, chargé de développement et d’animation bilingue à la CeA ;

Altkirch : La Halle au blé   1 Pl. X Jourdain, le 14 juin avec : Véronique Erhart-Ueberschlag, animatrice en Langue Régionale, Sierentz : Claude JUD, vice-président à la Comcom Sud Alsace Largue ; Virginie Fichter, directrice du bilinguisme à la CeA ;

Colmar : Hôtel Bristol 7 place de la Gare, le 16 juin avec : Marie-Paule Gay, conseillère régionale, maire d’Aubure ; Hubert Ott, député ; Jean Charles Ancel, ambassadeur du bilinguisme de la CeA ; Tristan Denéchaud, chef de projet développement bilinguisme à la CeA ;

Wissembourg : Maison des Associations et des Services (salle 11)  2 rue du Tribunal, le 19 juin avec :   Serge Rieger, Liedermacher avec mes « élèves du cours d’Alsacien » ; André Schmitt, ambassadeur du bilinguisme de la CeA ; Weigel Jean-Bernard, maire de Rittershoffen, ambassadeur bilinguisme de la CeA ; Nathalie Marajo-Guthmuller, conseillère d’Alsace ; Jacques Schleef, secrétaire général du CPA ; Chantal Schmitt, maire de Schleithal ;

Strasbourg : FEC: 17 place Saint-Etienne, le  23 juin  avec : Jean-Marie Woehrling, CUBI ; Alexis Lehmann, Life Valley ; Jean Peter, ABCM ; Julien Riehl, chargé de développement et d’animation bilingue à la CeA ;

Saverne : Ilot du moulin 30 rue du moulin, le 26 juin avec : Sandrine Janes Zolyniak; Jean Peter, ABCM ; Marie-Laure Vraux, cheffe de projet bilinguisme à la CeA ;

Haguenau : Ecole ABCM-Zweisprachigkeit 50 rue Ettore Bugatti le 28 juin  avec : Jean Peter ABCM ;  Serge Rieger, Liedermacher avec quelques enfants ABCM ; Valérie Kapps, cheffe de projet bilinguisme à la CeA.

  1. Un Elsass Journal spécial de 80 pages spécialement réalisé par la fédération faisant le tour de la problématique a été distribué aux présents aux réunions (235 exemplaires en tout). Téléchargeable ICI
  1. Utilité.

Détenant une véritable expertise, la fédération s’est fixé notamment pour objectif de diffuser dans la société alsacienne une culture autour du bilinguisme, de la culture et de l’histoire régionales. C’est dans cette optique qu’elle s’est inscrite dans l’opération lancée par la CeA. Toujours et encore, parler du sujet, tant la société alsacienne est largement dépourvue à la fois d’un travail partagé et d’un débat sur la problématique.

Faute de ce travail et de ce débat, chacune et chacun des Alsaciennes et des Alsaciens entretient des appréciations toutes personnelles donc non confrontées ni à celles des autres ni à un récit ou à une mémoire collective, ce qui laisse le champ libre aux fantasmes et à la division empêchant la construction d’un consensus à présenter aux institutions qui déterminent les politiques linguistiques et culturelles. On ne souligne généralement pas assez l’absence des médias publics du débat, en tout cas leur indigence. Évidemment ils étaient totalement absents de nos réunions et nous prenons le pari qu’ils n’en ont pas annoncé l’existence.

  1. Efficacité.

S’agissant des personnes présentes aux réunions, elle ne fait aucun doute, tant le fil conducteur a été suivi et tant le débat était nourri. Toutefois le public n’était pas très nombreux, 30 personnes présentes en moyenne. Ce nombre aurait pu être plus élevé si la population en avait eu davantage connaissance. L’annonce des réunions a été pour l’essentiel faite par les moyens de la FAB et par la CeA.

  1. Intervenants

La direction du bilinguisme de la CeA était bien représentée aux réunions et ses membres ont bien nourri le débat autant qu’ils ont été nourris par lui, espérons-nous. Ce qui d’ailleurs est le cas de tous les intervenants. Cinq ambassadeurs du bilinguisme de la CeA sur quelque quarante et un conseiller d’Alsace sur 80 étaient présents[1]. Cela soulève un questionnement ! Nous n’osons pas croire qu’ils sont indifférents ou fatalistes. Si ces élus s’étaient impliqués davantage autant dans la promotion de nos réunions que dans la participation, leurs efficacités auraient été nettement renforcées. Mais bon, ils s’étaient peut-être impliqués ailleurs dans d’autres réunions. À noter la présence de deux conseillères régionales toujours à l’écoute de la FAB. À noter aussi la présence d’élus municipaux ou communautaires très impliqués. Mme Nathalie Marajo-Guthmuller et Jacques Fernique, bien qu’inscrits, ne sont pas venus.

  1. Langues

Si la plupart des réunions se sont tenues en langue française, celles de Sélestat et d’Altkirch l’ont été entièrement en dialecte d’Alsace, Elsasserditsch ou allemand alsacien, d’autres en léger mixte.

  1. Quelques points forts du débat.

Chose récurrente en Alsace[2], le débat est toujours grandement ramené à l’école et à l’enseignement de la langue et de la culture régionales. L’accent a donc aussi été mis sur le rôle de la société, de l’existence sociale de la langue et notamment médiatique. Seules survivent les langues qui ont une existence, certes scolaire, mais aussi et peut-être surtout médiatique, administrative, culturelle, économique… L’accent a aussi été mis sur l’importance d’un discours de positivation de repositivation de la chose linguistique et culturelle alsacienne, tant elle a été négativée depuis des décennies. Il n’y aura pas de perspectives heureuses sans ce discours qui est à mener par celles et ceux qui sont en charge institutionnelle et administrative de l’avenir de l’Alsace.

Autre récurrence. La classe politique ne fait pas son travail ou alors bien trop peu. Certes, mais en même temps la classe politique n’émane-t-elle pas de la société alsacienne ? N’en est-elle pas le reflet ? La classe politique et la société alsacienne, cela a déjà été relevé, sont largement dépourvues de culture sur le sujet qui nous préoccupe. Thème méconnu par l’école et peu porté par les médias publics. Cela explique en partie l’indifférence, le fatalisme ou l’alignement sur d’autres intérêts qui caractérise les deux. L’une comme l’autre sont à la fois inconsciemment victimes et complices[3] d’une politique qui leur échappe. Et cela perdurera tant qu’une prise de conscience de l’énorme perte que représente la disparition d’une langue et d’une culture[4] n’aura pas lieu, mais encore faut-il que cette conscientisation puisse s’opérer. Rien ne se fera de soi-même !

Enfin. Les décideurs, celles et ceux qui sont aux manettes, n’en font pas assez. La demande de l’opinion publique n’aurait pas été ou ne serait pas assez forte pour les pousser à une action d’envergure en faveur d’un redressement de la situation, les a-t-on entendus dire. Mais l’opinion publique n’est-elle pas ce qu’ils ont laissé faire d’elle ?

Ritournelle alsacienne. Les autres ne font pas ce qu’ils devraient. Mais que font personnellement dans leur quotidien celles et ceux qui prononcent ce jugement ?

 

  1. Demandes à la CeA maintes fois formulées au cours des réunions.

Emploi public de la langue régionale, l’allemand standard et l’Elsasserditsch en alternance, selon un mode en cours en Suisse alémanique par exemple. La population doit pouvoir être progressivement (ré)habituée à cela, après des décennies d’abandon. La création d’une école ABCM en immersion dans chacun des cantons d’Alsace et un collège ABCM par pays d’intervention de la CeA. La commande aux médias audiovisuels, publics ou non, d’émissions destinées à promouvoir le patrimoine culturel alsacien[5]. La création de centres culturels alsaciens ou lieux d’Alsace dans chacun des 7 pays d’intervention de la CeA, des centres de documentation, de rencontre et de débats, des instruments de connaissance et de transmission de l’histoire et de la richesse culturelle de la région, mais aussi un laboratoire de projets pour les jeunes notamment.

Le choix d’une ville ou mieux d’un canton de référence pour y expérimenter la masse critique nécessaire à la survie de la langue régionale, à savoir une existence sociale à hauteur de 30 % au moins[6]. Un recentrage, en tout cas une forte augmentation des soutiens financiers à la culture sur les acteurs et les productions en langue régionale. Il faut sortir de l’assistance à culture en péril et déjà élaborer une stratégie culturelle qui par sa mise en œuvre permettra de gagner véritablement en locuteurs, en acteurs et en productions. Un office public de la langue et de la culture régionales d’Alsace pourrait en être un outil.

  1. Un focus particulier sur la culture à l’adresse de la CeA.

Dans un pays, la France, qui ne reconnaît pas sa propre diversité culturelle et qui surtout ne la met pas en valeur, force est de devoir parler de cultures dont l’une serait noble, la nationale, et d’autres qui le seraient moins[7], les régionales. L’approche française de la culture se caractérise par la dichotomie et la hiérarchie. Elle empêche de concevoir la culture nationale comme étant confluence et synthèse des cultures de France. Elle revient à rejeter les parts régionales de la culture de France en dehors du collectif, dans le magma du non-dit, l’approximation du non travaillé et le confinement de l’intimité[8]. Elle pousse à l’effacement[9] et en contre coup à l’alignement[10].

La culture alsacienne vit et se maintient au travers de la production et de la transmission. Elle devrait logiquement le pouvoir. Or, c’est loin d’être pleinement le cas. Aussi, un très gros effort serait à fournir par la société alsacienne. Encore faudrait-il qu’elle dispose des pouvoirs et des moyens culturels nécessaires et suffisants. Il reviendrait déjà à la classe politique alsacienne d’engager des négociations avec l’État afin de les obtenir et ce faisant de pouvoir gérer, voire en cogestion avec l’État, en l’occurrence des domaines culturels propres à l’Alsace.

  1. En guise de conclusion.

En France, les conditions ne sont pas réunies pour assurer le renouveau des langues et des cultures régionales. C’est plutôt le contraire qui y est à l’œuvre. Le renouveau implique d’en créer les conditions[11], lesquelles dans le contexte français ne pourront être réunies sans en amont en exprimer une forte demande et sans en aval se battre pour en obtenir la satisfaction. Quoi qu’il en soit, en la matière, ce qui ne sera pas demandé ne sera pas obtenu. Cela vaut autant pour le citoyen de base que pour l’élu(e).  Qui alimentera la demande de l’autre ? Cette question en appelle deux autres : qui organisera le débat et les médias, publics notamment, seront-ils de la partie ? Le changement naîtra de la mise en œuvre de compréhensions et d’émotions, de volonté de dialogue et de capacité d’empathie. Il est à vouloir et à obtenir ! « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » (Bertolt Brecht).

Pierre Klein, président

 

[1] Tous les conseillers et tous les ambassadeurs avaient été informés et invités.

[2] Depuis sa création en 2014, la fédération a tenu une cinquantaine de réunions et y a rencontré quelque 3000 personnes.

[3] En langage journalistique, on parle de nos jours « d’idiots utiles ».

[4] Certes, la mutation linguistique ne prive pas les Alsaciennes et les Alsaciens de communication. Changer de langue n’empêche pas la communication. Ce que la mutation opère, c’est la perte de l’Hinterland culturel de la langue, la perte de la culture que véhiculait cette langue, la langue étant elle-même une culture, la perte d’une certaine vision du monde, des gens et des choses, la perte aussi du lien entre locuteurs et d’une part de leur identité collective, du « Nous-qui –parlons-telle-langue », la perte de la forte efficience sociale, culturelle et économique que confère le du bilinguisme français-allemand,  et enfin l’impossibilité de remplir le fier devoir historique que des intellectuels alsaciens avaient assigné à l’Alsace, celui d’être un pont entre deux grands pays pour leur propre et réciproque profit. La langue moule la pensée et en façonne l’expression.

 

[5]   Le patrimoine culturel ne s’arrête pas aux monuments et aux collections d’objets. Il comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel (UNESCO).

[6] 30 % de pratique dans tous les champs de la société : médias, culture, école, administration, économie, etc.

[7] À cela s’ajoute un parisianisme prégnant. Chaque année, le ministère de la Culture dépense 139 euros par Francilien contre 15 pour l’habitant d’une autre région, un rapport de 1 à 9 au profit de l’Île-de-France ! Ce parisianisme est non seulement structurel, il  prétend donner le ton. (Voir l’Express du 11 juin 2019).

[8] Ainsi de grands noms alsaciens de la littérature européenne sont exclus du panthéon national, parce que… de langue allemande (René Schickele et Ernst Stadler) ou reconnue qu’à la marge (Albert Schweitzer).

[9] En fait, à une déculturation, à une aliénation.

[10] En fait, à une mutation culturelle

[11] Le renouveau passe par une politique et une stratégie linguistiques qui par exemple mettraient en œuvre les préconisations de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Comme cela se fait dans les démocraties voisines de la France.