Fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass

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Lettre à la CeA dans le cadre de la consultation « Construisons ensemble l’Alsace de demain »

Vous pouvez aussi lire la lettre sous ce lien

– Langue régionales –

Monsieur le président,

Madame la Conseillère d’Alsace,

Monsieur le Conseiller d’Alsace,

La fédération Alsace bilingue vous prie de prendre en compte les propositions qu’elle adresse à la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) dans le cadre de la consultation « Construisons ensemble l’Alsace de demain » qu’elle organise.

Il se parle quelque 6000 langues à travers le monde. Il en disparaît plusieurs dizaines tous les ans. Disparaissent celles qui ne bénéficient pas d’une existence sociale, c’est-à-dire d’une véritable existence scolaire, médiatique, administrative, culturelle, économique, cultuelle, etc. à l’oral comme à l’écrit[1].

Le minimum vital pour assurer la survie d’une langue se situe à hauteur de 30 % d’existence sociale. Cette masse critique d’existence scolaire, médiatique, administrative, cultuelle, économique, cultuelle, etc. est loin d’être atteinte en France à la faveur des langues de France autre que la langue française. Aussi, les langues régionales se trouvent-elles dans une situation très difficile[2].

Aucune société humaine n’abandonne librement sa langue première. Il y faut une forte part de contrainte objective et subjective dont le but est de faire intervenir plusieurs facteurs : diminuer le nombre de locuteurs et les fonctions de la langue dominée, dévaluer sa fonction identitaire et obtenir la légitimation de cette politique. Le changement de langue peut se faire par rupture (d’une génération à l’autre) ou de façon continue, par un lent processus d’absorption. Le changement est d’autant plus rapide que les deux phénomènes s’additionnent. C’est notamment le cas en Alsace.

Lorsqu’une langue disparaît, il est toujours possible de communiquer dans une autre langue, mais lorsqu’une langue disparaît, disparaissent avec elle une certaine compréhension et un certain vécu du monde, de la vie, des choses et des gens[3]. Avec la disparition des langues, c’est donc aussi une part de diversité culturelle et un écosystème culturel qui disparaissent à jamais.

Lorsque Germain Muller écrivait dans sa chanson „d’Letschde“[4]: (Trad : Nous sommes, paraît-il les derniers, oui, les tout derniers de ces tordus qui pensent encore comme le crâne leur a poussé. Après nous c’en sera fini de cet embrouillamini et l’on pensera enfin français dans toute la France…)[5] , il mettait en lumière la liberté de penser autrement et a contrario, ce que les jacobins souhaitent installer, à savoir une pensée unique.

Ecoutons encore Michel Serre « Un pays qui perd sa langue perd sa culture ; un pays qui perd sa culture perd son identité ; un pays qui perd son identité n’existe plus. C’est la plus grande catastrophe qui puisse lui arriver. » (in Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, 2018).

Il est grand temps si l’on veut assurer ne serait-ce que la survie de la langue régionale d’Alsace, en réalité la survie de la langue allemande sous sa forme standard comme sous sa forme dialectale, c’est-à-dire de la germanophonie alsacienne, à côté de la langue française, d’entamer un aggiornamento.

Certes, des politiques linguistiques sont conduites en Alsace, mais faute de pouvoirs politiques et de moyens financiers réels et suffisants, elles ne permettent pas d’assurer les besoins fondamentaux, tout au plus permettent-elles d’accompagner l’existant… en fort déclin.

Il y aurait plusieurs choses à entreprendre par la CeA.

Déjà de considérer que tout ce qui n’est pas expressément interdit est faisable et d’utiliser la langue régionale à toute occasion[6].

Ensuite de tenir un discours public sans cesse renouvelé :

– pour promouvoir l’idée de bilinguisme et celle de la forte efficience sociale, culturelle et économique qu’il crée ;

– pour appeler à la résilience, c’est-à-dire au « Werde der du bist », au triomphe sur toutes les inhibitions, sur tous les reniements, refoulements et fatalisme, et au plein déploiement de ses possibilités. Après des décennies de négativation et de fatalisme, le temps de la positivation et du libre arbitre doit venir.

D’organiser un véritable et récurent débat au sein de la société alsacienne au sujet du bilinguisme si l’on veut rompre avec les maîtres silencieux qui poussent à la reproduction inconsciente de schémas anciens et anachroniques.

Par ailleurs rien, de sérieux et de durable ne pourra être entrepris sans obtenir de l’État, puisque tout dépend de lui, des pouvoirs et des moyens permettant de mettre en œuvre une véritable politique et stratégie linguistiques pour atteindre déjà la masse critique de 30 % évoquée ci-dessus, base de survie et fondement pour un développement futur.

En guise de conclusion, nous nous permettons de rappeler à votre mémoire l’Appel « Un avenir pour le bilinguisme en Alsace » signé par un grand nombre de personnalités du monde politique, économique et culturel qui vous a été adressé en 2022

 Les signataires du présent appel :

  • revendiquent un bilinguisme collectif qui confère à la langue régionale une place pleine et entière dans le domaine social et culturel de la société alsacienne et une lisibilité dans l’espace public.
  • reprennent à leur compte la définition de la langue régionale telle qu’elle est énoncée dans la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 portant création de la Collectivité européenne d’Alsace, en l’occurrence l’allemand sous sa forme standard et dialectale et ne souhaitent pas un changement de paradigme. L’allemand standard doit à l’avenir en Alsace, comme il l’a été par le passé, avoir le caractère de langue régionale. Ce faisant, il contribue à l’enrichissement des dialectes, fait participer l’Alsace d’une grande culture, l’ouvre à un grand espace d’échange, notamment économique, et de communication, et lui permet de jouer le rôle de « pont » entre la France et l’Allemagne, ce dont tant d’intellectuels et pas seulement Alsaciens ont rêvé.
  • rejettent toute forme de germanophobie, encore trop présente en Alsace à différents niveaux, ce qui nuit non seulement à l’approfondissement des relations franco-allemandes, mais aussi – et surtout – à la culture alsacienne elle-même.
  • considèrent que les langues ne peuvent être séparées de leurs constituants sociohistoriques et socioculturels. En conséquence, l’enseignement de l’histoire et de la culture régionales doit être généralisé en Alsace et donné en langue régionale dans la filière d’enseignement bilingue.
  • soutiennent l’enseignement bilingue paritaire français-allemand standard à l’école publique. Cependant, ils demandent :

– que les dialectes soient associés à l’enseignement de l’allemand standard dans une méthode qui reste à élaborer.

– l’ouverture de l’école publique à l’enseignement immersif en langue régionale à l’école maternelle, l’immersion y devant être proposée en standard ou en dialecte ou encore en standard et en dialecte comme le pratiquent les écoles ABCM-Zweisprachigkeit.

l’extension de la filière bilingue et son évaluation, ce qui suppose un accroissement du recrutement et un développement de la formation d’enseignants.

tout en saluant la création d’un lycée franco-allemand, ils demandent la création de collèges et de lycées véritablement bilingues.

en parallèle au soutien au bilinguisme à l’école publique, ils demandent aussi l’extension du réseau des écoles ABCM-Zweisprachigkeit : une école au moins dans chacun des cantons alsaciens et la création d’un collège ou deux.

Nous serions reconnaissants de prendre en considération les propositions que nous vous adressons et de les inscrire dans les politiques devant construire l’Alsace de demain.

Bien cordialement.

Pierre Klein, président

[1] Les conditions ne sont pas réunies en France pour véritablement laisser vivre et croître les langues régionales.

[2] Exemple. Si je ne peux pas acheter un timbre au bureau de poste, ma langue régionale ne sert pas à grand-chose, sauf peut-être comme dit l’autre à faire des blagues entre copains.

[3] Question. L’Alsace serait-elle pareille ou différente, si on y avait parlé d’autres langues ?

[4] (Les derniers) aussi appelé „de elsassisch Schwanegsang » (le chant du cygne alsacien).

[5] „Mir sin schients d’Letschte, ja d’Allerletschte vun däne Lätze,wo noch so denke wie de Schäddel ne geböje-n-isch. Noch uns isch ferti mit dem Trafari un no wurd endli im ganze Frankri ,,Ge-pensez-vous » numme franzeesch…“.

[6] Si la langue de la République est le français, d’autres langues de la République peuvent être utilisées en plus en maintes circonstances. Seules les langues non utilisées par celles et ceux qui donnent le ton dans la société disparaissent.